French Crises écologiques et transformations socio-économiques au Nord-Cameroun : vulnérabilité et résilience paysanne dans le bassin de la Bénoué
English Title: Ecological crises and socio-economic transformations in North Cameroon: vulnerability and peasant resilience in the Bénoué basin
WCIU Journal: Environmental Studies Topic
by Gustave Gaye
March 9, 2021
English Summary
Summary
Since the effects of climate change have weighed on populations north of the Bénoué basin, there have been social and economic changes in the way of life and production activities of populations affected by the effects of ecological crises in North Cameroon. Indeed, the Bené basin, which tends to be the refuge of humans and wildlife, due to the permanent presence of water along the river and a relatively productive land, now appears as the nerve centre of economic activities in this space; while inducing new conflicts around available natural resources. Competition for access and control of these resources is real between humans and between humans and animals feeling threatened in their biotope. This article first reports on the vulnerability of populations and socio-economic transformations in this space, as a result of ecological crises. Secondly, this reflection analyses the resilience strategies in terms of the livelihoods of peasant communities, leading to the highlighting of existing potential. The scientific approach was to mobilize the methodological instruments of the social sciences , relying on an interdisciplinary analysis, reconciling theoretical and empirical knowledge to present the socio-economic facts highlighted above. This reflection teaches us that despite ecological threats, communities adapt and face this natural adversity through their ingenuity.
English Translation of Conclusion
In conclusion, it should be remembered that this work has explored in detail ecological, economic and social issues in the Bené basin. As a result, these crises do not have a fixed frequency, but they are generally consistent with climate variability. The description shows that the crises in question not only affect production activities, but also make people vulnerable in their livelihoods. Moreover, it is also clear that local and national government investments in these localities are low to take advantage of the economic potential in the study area. However, it is enough to devote a little effort to it in order to translate the existing potentials into an economic and social development programme in the Bené basin and thereby improve the standard of living of the population, while reducing their vulnerabilities to the vagaries of climate. Moreover, the work has gone so far as to raise the problem of employability from the existing and the potential jobs to be created or generated according to the economic activities taking place there, as well as the local workforce. As a result, the three main productive sectors we have identified can generate thousands more jobs at the local level. This is possible from companies that could eventually be created in the different value chains of agro-sylvio-pastoral activities, from the activities of the primary, secondary and even tertiary sectors if one includes the jobs of distribution and marketing. Finally, we can say that this work has been able to make the endoscopy of local poverty based on the potential that exists at the local level, to propose solutions involving local actors as well as the decentralized services of the State as well as decentralised local authorities.
French Article
Introduction
Depuis près de vingt ans, la vulnérabilité des communautés installées aux abords de la Bénoué ne fait que s’accroître. Cette situation a affaibli la capacité des communautés à pouvoir sécuriser leurs moyens de subsistance grâce aux ressources naturelles qui étaient abondantes avant ces épisodes récurrents des crises écologiques. Certes, il est difficile de donner une définition exclusive au concept "vulnérabilité” parce que, ce concept est amplement utilisé dans les théories en sciences sociales (inclus l’Homme et la Société), mais aussi, on le retrouve également dans les sciences de la vie et de la terre, et dans beaucoup d’autres champs scientifiques (Pecqueur, 2005). Cependant, nous voulons dans le cadre de ce travail le circonscrire dans les théories en sciences sociales. Dans les années 90, les experts du développement définissaient la vulnérabilité comme la probabilité de faire l’expérience d’une perte d’un élément quantifiable qui peut contribuer au "bien-être” d’un individu ou d’une communauté sans pouvoir le prévenir dans l’immédiat comme dans le futur. Le caractère quantitatif relève du Benchmark of Welfare. Pour les institutions internationales (PNUD, 1997) et (Banque Mondiale, 2000 et 2002), la vulnérabilité dans le champ du développement est associée aux disciplines comme l’Économie, la Sociologie et l’Anthropologie, les Sciences environnementales, la Santé et la Nutrition. Le PNUD définit la vulnérabilité comme « l'exposition aux risques et à la gestion des risques, notamment l'incertitude contre les chocs et la diversification de réduction des revenus ». Ainsi, le rapport sur le développement humain en 2014, intitulé « Sustaining Human Progress: Reducing Vulnerabilities and Building Resilience » propose des nouvelles perspectives pour comprendre la vulnérabilité et suggère des nouvelles approches pour accompagner les communautés à la résilience. D’autres organisations régionales à l’instar de l’OCDE recourent à cette définition pour établir les standards sur le niveau de vie de la population dans son ensemble géographique.
À côté de cette diversité de disciplines scientifiques et d’institutions du développement international qui abordent le concept de vulnérabilité en fonction de leur vulnérabilité, on constate également que, ce concept permet d’analyser la situation d’opulence ou son absence chez les individus et les communautés, peu importe les centres d’intérêt des disciplines scientifiques et institutions. C’est cet effet, de la vulnérabilité qui sera mise en exergue dans notre réflexion, afin d’analyser et de comprendre les effets des crises écologiques dans le bassin de la Bénoué sur les individus, les communautés ainsi que les espèces vivant dans cet espace. Pour cela, l’exposition des populations aux aléas climatiques ainsi que les enjeux économiques sur leurs activités de production seront sculptés. Nous appelons ces deux composantes, la vulnérabilité territoriale en mobilisant la théorie du développement territorial de Bruno Jean (1997) qui concilie l’écologie et l’économie dans la gestion du territoire. Partant de là, il est clair que les crises écologiques n’induisent pas seulement la vulnérabilité, mais aussi et surtout l’insécurité pour ces populations et espèces fauniques qui sont régulièrement affectées. Ainsi, le concept d’insécurité est aussi mobilisé pour décrire et présenter cette vulnérabilité à laquelle nous faisons allusion.
Certains auteurs des Development Studies l’abordent sous l’angle de l’insécurité alimentaire (Briand, 2004 ; Azoulay et al, 2007), et l’intègrent dans la vulnérabilité. Cependant, bien que l’insécurité alimentaire soit l’une des caractéristiques des populations de la Bénoué, nous avons délibérément choisi de le dissocier du concept de la vulnérabilité dans cette réflexion, pour le revêtir et le nourrir dans le contexte de la dignité humaine qui est plus globalisante et holistique dans sa dimension sociologique. Toutefois, nous nous détachons de la conception de l’insécurité qui est centrée sur l’État pour le substituer à l’individu et à la communauté. Le PNUD est la première agence du système des Nations Unies à aborder la question de la sécurité humaine dans son rapport de 1994. Depuis lors, plusieurs acteurs essaient de travailler pour que l’Homme se sente restauré dans sa dignité et protégé de toutes les menaces, qui peuvent nuire à son bien-être social et sociétal. Bien que les différents acteurs sur la question de la sécurité humaine l’abordent sous des angles différents, toutes les institutions s’accordent cependant sur le fait que l’Homme fait face aux menaces quotidiennes sur le plan local, national ou régional.
La vulnérabilité et l’insécurité humaine peuvent ainsi se confondre très souvent et très peu d’organismes et même des chercheurs établissent une claire distinction de ces deux concepts parce qu’ils préfèrent utiliser l’un des concepts pour désigner les deux. Cependant, nous nous démarquons de cette conception pour faire une distinction théorique entre les deux concepts. Ainsi, la vulnérabilité sera mobilisée dans le cadre de ce travail lorsque la menace est communautaire, c'est-à-dire pouvant affecter plusieurs personnes à la fois. Ce faisant, l’origine de la menace doit être aléatoire et ne peut être contrôlée par l’Homme alors que sa prévention est possible de même que la réduction des dégâts lorsque cette crise frappe. C’est le cas par exemple des catastrophes naturelles comme les inondations et les sécheresses … qui sont des phénomènes courants dans le terroir étudié. Par contre, nous mobiliserons le concept d’insécurité humaine, pour désigner des menaces centrées sur l’individu et qui relèvent de la gouvernance publique. L’insécurité humaine peut être prévenue et contrôlée par les institutions publiques dans le cadre de l’action publique des autorités locales ou nationales. C’est le cas des crises sanitaire et nutritionnelle (pandémie, famine, malnutrition) ou des crises sociopolitiques, économiques ou environnementales. En effet, l’insécurité humaine relève de la gouvernance publique bien que ses causes peuvent être anthropiques ou non.
Cette réflexion sera donc structurée en quatre grandes parties, en partant de la présentation des faits au départ à la remise en cause du mécanisme de gouvernance qui peut bien se bâtir autour de la valorisation des ressources disponibles et du potentiel économique, capable de reconstituer les communautés dans leurs moyens de production dans la dernière partie. Mais avant d’en arriver, la deuxième partie est consacrée à la présentation des formes de pressions qui s’exercent sur les ressources naturelles. On peut appréhender ces pressions simultanément comme des causes de ces crises écologiques, mais surtout, sous forme de conséquences. La troisième partie quant à elle est consacrée aux formes de transformations sociales et économiques. Il s’agit d’aborder la dynamique des changements sociaux sous l’angle des rapports sociaux qui se transforment dans la mesure où les communautés se reconstituent sous les clivages ethniques et religieux, mais aussi et surtout, mettre en exergue les mutations économiques dans l’activité de production, conciliant en même temps les pratiques de l’économie du marché et le recours à une forme d’économie sociale et solidaire.
Vulnérabilités face aux crises écologiques dans le bassin de la Bénoué
Dans le bassin de la Bénoué, le risque climatique le plus élevé de nos jours est l’inondation. La dernière en date, celle de 2012 qui a causé de nombreux dégâts dans la vallée de la Bénoué et dans toute la zone en aval de Lagdo jusqu’à Garoua. De nombreuses familles (25,000) parmi lesquelles 52% de femmes et 20% d’enfants (Care International, 2012) ont été victimes de cette inondation et d’autres ont dû se déplacer pendant plusieurs mois. Les communes de Lagdo, Ngong, Bibémi, Garoua II et III ont été fortement touchées au point où les populations ont été réinstallées. En 2014, les inondations n’ont été observées que dans la commune de Bibémi. Cette fois-ci encore, les dégâts étaient très significatifs. À chaque inondation des pertes économiques majeures sont enregistrées et les populations dans leur impuissance ne pouvaient rien faire pour recouvrer leurs biens de subsistance. Elles sont exposées de manière durable à la pauvreté et autres risques sanitaires et même nutritionnels.
L’action du climat et l’irrégularité des pluies bouleversent profondément les habitudes des populations et mettent davantage les individus en situation de vulnérabilité dans une zone comme le bassin de la Bénoué, où les individus doivent en permanence s’adapter aux aléas climatiques pour assurer leurs moyens de subsistance. Il est vrai que la menace des changements climatiques est planétaire, mais la vulnérabilité des populations dans les Communes du pourtour de la Bénoué dans le Nord-Cameroun inquiète au point d’entraîner des conséquences graves, sur la survie des hommes dans cette zone qui ne cesse d’attirer continuellement de nouveaux migrants depuis les années 70, et se retrouve actuellement en train de subir les effets de la pression démographique. Le relevé des effets des inondations entre 2000 et 2020 montre une augmentation progressive des dégâts affectant en même temps l’espace et les infrastructures sociales et marchandes des populations. Paradoxalement, le lit permanent du fleuve Bénoué ne fait que régresser.
Source : Michel Tsotsoua et al « Evaluation des risques d’inondations dans la vallée de la Bénoué en aval du barrage de Lagdo (Cameroun). Données GPS de 2001 à 2004.
Le constat était déjà fait par les autorités camerounaises dans le Plan National de Gestion de l’Environnement, publié en 1996, et les indicateurs de la menace actuelle étaient déjà perceptibles bien avant cette date. Depuis le milieu des années 80, la pluviométrie, les ressources en eau, l’effet de la température, l’effet des saisons et les écosystèmes ont évolué pendant et après la période des migrations massives entre 1987 et 1996 (CDD, 2000), vers la conquête du bassin de la Bénoué, au point de constituer aujourd’hui une menace tant pour la survie de l’Homme que pour l’environnement lui-même. La dégradation de l’écosystème entraînant une perte énorme des ressources naturelles dans le bassin de la Bénoué au Nord-Cameroun est due en majeure partie à une dérégulation du climat qui s’accentue au fur et à mesure que les années passent (Bring, 2004) et est rapporté comme suit :
Elle est régulièrement soumise aux aléas de la pluviométrie au cours de la saison pluvieuse. Parfois, elle commence très tôt, obligeant les paysans à semer précocement ; quelquefois aussi elle débute très tard ou s’interrompt brusquement, déterminant une deuxième campagne de semis. À ce propos, on a constaté à Garoua une instabilité dans le démarrage des pluies pouvant s’étendre jusqu’à 52 jours. Des fois, des abats brutaux et prolongés déterminent des inondations dans les zones de plaine. De ce fait, le maximum pluviométrique mensuel atteint de temps à autre des valeurs très élevées se rapprochant parfois du total annuel des stations : 495,2 mm à Garoua en août 1963, 521,8 mm en août 1963 à Ngaoundéré, 540.2 mm en août 1991 à Maroua. La distribution de ces grosses pluies au cours de l’année semble capricieuse dans la mesure où elles ne donnent pas l’impression de se concentrer à des périodes bien déterminées. Elles peuvent toucher l’ensemble de la saison des pluies, comme ce fut le cas en 1960 à Garoua, ou uniquement certains mois tout en se prolongeant à la saison suivante.
La distribution des précipitations comme ressources dans le bassin de la Bénoué s’est faite de manière naturelle. Le Barrage de Lagdo est le seul outil de gestion de la ressource en eau qui soit artificiel et serve un intérêt particulier en besoin énergétique pour le pays. Construit grâce à la coopération sino-camerounaise entre 1977 et 1982 dans un endroit où il n’y avait presque personne à cette époque, le barrage a été officiellement inauguré en 1988. À son inauguration, le barrage avait un potentiel de retenue en amont évaluée à 7,7 milliards de m3 d’eau (Ngounou Ngatcha et al, 2002). En aval du barrage, s’étendent de vastes plaines alluviales qui sont inondables et favorables à la culture pluviale (du riz et les céréales de saison des pluies), la culture de décrue (le Karral) et la culture de submersion. Autres cours d’eau et mayo avec leurs potentiels en ressources en eau affluent vers le lit principal. Les bassins secondaires du Faro et du Mayo Kebi sont les principaux bassins qui renflouent la Bénoué. Rappelons que les zones d’inondations du bassin de la Bénoué sont estimées à une superficie de 1,000 km² et le potentiel à aménager est de 820 km² soit 82,000 ha (Ngounou Ngatcha et al, 2002).
Le bassin de la Bénoué est soumis à un climat à deux principales saisons qui décrivent la température au courant de l’année (Boutrais, 1984). Une saison sèche allant de novembre à mai et une saison pluvieuse allant de juin à octobre. Comme nous l’avions précisé un peu plus haut, cette périodicité n’est plus stable depuis environ une décennie. On peut observer un décalage soit en amont soit en aval qui s’accompagne des autres effets qui sont des indicateurs des changements climatiques. La température moyenne varie entre 22°c et 28°c en saison des pluies (Ngounou Ngatcha B. et al., 2002). Les calendriers agricoles et la transhumance sont affectés à des cycles qui sont irréguliers et imprévisibles (Garine, 2005). La sécheresse réduit la productivité fourragère et les activités pastorales.
En définitive, les menaces écologiques comme les inondations et les sécheresses sont toutes de nature à noyer les populations déjà dans une situation de précarité avancée. Ces phénomènes induisent une baisse de rendement agricole et entraînent inévitablement une hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés. Cette situation pourrait conduire à la fragilité et susciter par la suite une intervention d’urgence de la part des pouvoirs publics ou des organisations humanitaires. Les variations des pluies observées entre les deux saisons donnent des indications sur la manifestation de la variabilité climatique. Elles semblent être le phénomène climatique majeur dans le bassin et imposent des types des cultures précises en fonction des caractéristiques des ressources en eau sur la surface, mais aussi dans les nappes phréatiques.
Le barrage de Lagdo a été conçu pour non seulement produire l’électricité devant desservir entièrement le Nord-Cameroun, mais aussi améliorer la navigation sur le fleuve Bénoué XE "Bénoué”, sur une période de cinq (05) mois, d’après des témoignages collectés auprès des personnes qui ont vécu et interagi avec le projet. Ce barrage venait alors corriger des désavantages qui étaient perceptibles du fait du manque de la ressource en eau qui aurait pu contribuer à plusieurs activités économiques dans l’espace envisagé, mais aussi sur la durée.
En matière d’agriculture, le barrage est censé permettre la culture irriguée afin de diversifier la production agricole en introduisant le riz et la canne à sucre d’après les habitants de Lagdo. Dans le domaine de la pêche, la retenue en eau de Lagdo a drainé un important flux de migrants venus de partout, mais plus encore de la région de l’Extrême-Nord actuelle, et des pays voisins comme le Tchad, le Nigéria et dans une moindre mesure le Mali. Le nombre de pêcheurs est passé de 400 en 1982 à 2,350 en février 1992. Environ 65% de ces pêcheurs pratiquaient de l’agriculture.
La suppression des crues qui rendaient possible pendant la période des décrues la culture du Mouskouari (sorgho de contre-saison) n’était plus possible du fait de la quantité insuffisante d’eau qu’on retrouve dans la nappe phréatique. Ceci a suscité la plainte des paysans qui pratiquaient cette culture. Suite à cette incidence, le Gouvernement du Cameroun a décidé en 1987 de financer à Garoua, Pitoa, Guébaké et Langui Bé la construction des digues pour reconstituer artificiellement les inondations et permettre à nouveau la culture du Mouskouari qui, au cours du temps, subit les caprices des variations saisonnières.
En dépit de toutes ces intempéries et autres formes de crises naturelles, la vallée de la Bénoué a continué d’attirer de nombreuses populations qui viennent des localités de la région de l’Extrême-Nord où les montagnes et les plaines sont surpeuplées et n’arrivent plus à contenir les populations en leur permettant de produire afin d’assurer leur autosuffisance alimentaire, ainsi que se générer des ressources financières. Ce qui a accru les vagues de migrations spontanées récentes, en direction des villes en développement comme Ngong, Lagdo et Boklé dans la commune de Garoua 3ème.
Migrations, activités humaines et pression sur les ressources locales comme conséquences des crises écologiques
Les flux migratoires encouragés par la politique gouvernementale de la mise en valeur de la vallée de la Bénoué, en vue de réduire les disparités démographiques entre la région actuelle de l’Extrême-Nord et le Nord, et les nombreuses opportunités que présentaient les villes en émergence dans les années 70 ont fait des actuelles communes de Ngong , Lagdo, Bibémi et Garoua III, les principales agglomérations d’accueil des migrants. Dirasset (2000) précise dans les résultats des études socio-économiques régionales qu’en 1994, on enregistrait 120,000 migrants qui étaient encadrés par les structures d’accompagnement.
Cette politique migratoire a occasionné une pression démographique dont la répercussion sur les écosystèmes n’a pas tardé à se faire ressentir. Tout d’abord, l’augmentation de la demande en bois de chauffe par les ménages a suscité une grande commercialisation du bois par les populations démunies tout en constituant une grande menace à l’existence des arbres dans cette savane. Cette déforestation intégrale du milieu a ensuite suscité le braconnage à grande échelle sur toutes les espèces fauniques disponibles dans cette savane. Le sol subit des assauts du fait des techniques agricoles non compatibles comme le feu de brousse et le déboisement des surfaces à cultiver.
À cela s’ajoute la diminution des espaces de pâturages obligeant les éleveurs à aller vers des zones occupées. Ce qui entraîne une tension permanente entre éleveurs et agriculteurs. Selon le MINPLAT (1993), il existait 200,000 têtes de bétail sur une surface pastorale estimée à 924,000 hectares ce qui donne une charge de 4,6 ha par tête au lieu de 7ha communément admis dans ce contexte. L’utilisation abondante des intrants agricoles à base chimique est l’une des grandes menaces à la biodiversité qui a un rôle important dans la reconstitution du sol en conjugaison avec l’humus nécessaire pour une productivité normale.
Dans l’activité pastorale, les pasteurs occasionnent régulièrement des feux de brousse en vue de régénérer les pâturages pour que le bétail s’approvisionne. Par ailleurs, la construction des aménagements du barrage a impacté le mouvement des espèces de la faune sauvage et de leurs processus biologiques et écologiques. De même, l’orpaillage qui est une activité hautement lucrative et entretenue par des réseaux de grand banditisme qui profitent d’une législation qui n’est pas du tout claire et constitue une menace aux espèces fauniques des aires protégées se trouvant dans le bassin de la Bénoué.
Suite à cette instabilité permanente des saisons et de la température qui se dégradent de manière graduelle et impactent de ce fait l’activité pastorale, de nombreux pasteurs essaient de se reconvertir au nomadisme (Kossoumna, 2008) pour pratiquer une autre forme de transhumance accompagnée des activités agricoles. Toutefois, cela est sans succès comme nous l’a affirmé Saïbou, un peul de Bibémi, en ces termes « Depuis plusieurs années, nous faisons face aux surpâturages et où que nous allions, il y’a une difficulté à gérer les limites champêtres et les zones de pâturages et nous sommes obligés de contenir nos ruminants dans des espaces très réduits ». Ce qui montre que les systèmes de gestion de l’espace et des décrues ont été déstabilisés par une demande sans cesse croissante dans l’agriculture et l’élevage, doublée d’une raréfaction des ressources pour satisfaire la demande globale du fait de la sécheresse. Depuis que les systèmes des décrus sont déstabilisés, on assiste à de mauvais rendements dans le bassin de la Bénoué. Les captures de poissons sont maigres (20,000 tonnes en 1984 et moins de 4,000 en 2014) selon la Délégation Régionale du MINEPIA pour le Nord à Garoua. Il y a une augmentation de taux de mortalité animale, la production agraire a largement été réduite du fait de l’instabilité des facteurs géographiques (Kossoumna, 2008).
En matière d’exploitation des ressources minières, l’or est extrait par des bandes organisées non identifiées. Cette activité a bouleversé le comportement des animaux dont les mouvements ne sont plus facilement cernés par l’équipe de la conservation. Cette activité est très dangereuse pour la faune sauvage du fait des grands trous qui sont creusés par les orpailleurs et qui constituent des pièges pour la faune sauvage. Selon les analyses issues des archives du Projet Nord-Est Bénoué (PNB), l’orpaillage est la deuxième menace de la faune sauvage et particulièrement pour les éléphants après le braconnage.
Pourtant les aires protégées, selon Tchotsoua (2008), représentent une opportunité pour le développement durable de la région du Nord du fait des retombées économiques que peuvent drainer les ressources fauniques en tant qu’élément d’attraction touristique d’autant plus que la présence de certaines espèces est singulièrement reconnue aux aires protégées de la Bénoué. Cependant, les enjeux sont nombreux pour les différents acteurs qui s’agitent pour l’exploitation des ressources contenues dans les aires protégées. Les défis que l’État et les acteurs de la conservation doivent relever sont surtout le braconnage et la gestion intégrée des autres ressources.
Le braconnage quant ‘à lui est la première menace pour la pérennité des espèces fauniques. Dans le bassin de la Bénoué, sa dimension est internationale et cette activité illégale est pratiquée avec des armes lourdes qui viennent des pays voisins où la circulation des armes est légendaire. Selon le tableau d’inventaire consulté auprès des services de la conservation, les populations de toutes les espèces sont en baisse en dépit de nombreux efforts qui sont faits pour assurer la reproduction et la pérennité de ces espèces de la faune sauvage des aires protégées dont une bonne partie se trouve dans les communes situées le long du fleuve Bénoué. C’est alors dans ce contexte qu’une certaine dynamique sociale s’opère et les populations développent des stratégies d’adaptation face à un amenuisement constant des ressources qui leur permettent de sécuriser les moyens de subsistance.
Les transformations sociales et la sauvegarde des moyens de subsistance des populations
En raison de son caractère rural et semi-rural, le bassin de la Bénoué apparaît comme les sociétés paysannes à l’époque de Marx et de Weber. Ces auteurs, ont beaucoup étudié les sociétés européennes du 19e siècle pour en ressortir et analyser leurs caractères organisationnels, ainsi que leurs modes de production. Le bassin de la Bénoué présente foncièrement des caractéristiques préindustrielles des sociétés occidentales et l’on y retrouve les masses paysannes qui se débrouillent d’elles-mêmes d’un côté et de l’autre côté, on y retrouve une autre forme de production basée sur l’entrepreneuriat rural ; consistant à recruter de la main-d’œuvre, pour offrir la force du travail et récolter ainsi ce qui n’est ni salaire (conventionnellement parlant) ni revenu (proportionnel à leurs forces de travail).
Dans un contexte de diversité culturelle comme celui du bassin de la Bénoué, la fonction sociale devrait pouvoir jouer sur les forces de la diversité dont l’essence se retrouve intrinsèque à chaque groupe ethnique ou culturel, qui manifeste la volonté de les mettre ensemble pour bâtir la cohésion sociale. Deux aspects sont très importants dans la fonction sociale du territoire. Il s’agit d’une part du patrimoine qui est commun et capable de fédérer toutes les énergies pour sa défense, et d’autre part les aspirations dont toutes les populations ressentent au même « degré » son importance. Elles peuvent être la sécurité humaine et alimentaire sans lesquelles la vie n’est plus possible ou agréable. Enfin, le territoire doit jouer une fonction environnementale. Le bassin de la Bénoué est confronté à une absence de structuration de l’économie locale. Pourtant, il ressort clairement des expériences porteuses d’ailleurs que la production locale ou régionale doit opérer un choix pour arriver à un modèle économique de production dans une démarche méthodologique comme l’ont proposé les analyses marxienne et webérienne.
Les transformations sociales et économiques
En analysant les structures sociales et économiques, Marx (1859) nomme le mode de production, le type de société (division du travail, propriété, rapports sociaux, pouvoir politique, idéologie...) correspondant à une forme de production de la vie matérielle (cueillette, pêche, chasse, l’esclavage ou le salariat) et globalement à une époque historique. Ainsi, le mode de production de la vie matérielle « conditionne le processus de vie sociale, politique, intellectuelle en général ». Il ne s’agit pas de conséquences systématiques, mais « d’un éclairage général où sont plongées toutes les couleurs et qui modifie les tonalités particulières ». Dans le bassin de la Bénoué, les principales activités de production où l’on retrouve les migrants et d’autres populations vulnérables sont l’élevage extensif transhumant (ce qui est récent), la pêche, mais beaucoup plus dans l’agriculture. Ils sont ainsi dans le paysannat. Dans sa forme la plus pure, Fossaeert (1977) définit le mode de production paysanne comme soit un mode d'autosubsistance, soit un mode d'auto-exploitation. Dans le bassin de la Bénoué, il s’agit avant tout de l’autosubsistance. Cependant, il se dégage une volonté manifeste de passer à une production d’autosuffisance, mais les moyens de production en font défaut. Ainsi, le marché impose ses lois et les producteurs se comportent en fonction de plusieurs aléas du marché.
La force enveloppante de la communauté villageoise et paysanne est cependant exposée à des périls multiples comme les tracasseries des détenteurs de pouvoirs (chefferies traditionnelles ou les élus locaux) par exemple. Quelques fois, elle peut être érodée par la pression administrative et fiscale de l'État à travers des fonctionnaires placés dans tous les coins (Sous-préfets et forces de sécurité) qui contraignent à l'échange, ne serait-ce que pour se procurer l'argent des impôts ou les dons en nature auprès des paysans producteurs. Elle peut être assujettie à la propriété d'un État tributaire ou à celle d'un puissant propriétaire plus proche. C’est le cas des chefferies traditionnelles et autres grandes propriétés terriennes dans le bassin de la Bénoué.
Les données démographiques de la Région du Nord et précisément celles du bassin de la Bénoué ont souligné le caractère juvénile de la population. De là, nous pouvons déduire qu’il y’a suffisamment de la main-d’œuvre disponible dans les villages pour mettre les nombreuses ressources en valeur. Cette main-d’œuvre, bien que peu qualifiée, est un avantage pour les travaux agricoles. De même, les surfaces à emblaver pour les semis peuvent être augmentées. Nous rappelons que les aménagements hydrauliques qui ont été implantés par les différents projets peuvent être utilisés au maximum afin de maintenir une productivité continue sur les deux périodes de l’année. Ceci est valable pour la majorité des produits agricoles qui peuvent être cultivés pendant la période pluviale, mais aussi pendant la saison sèche grâce à l’irrigation. Selon la Mission d’Etude et d’Aménagement de la Vallée Supérieure de la Bénoué (Rapport MEAVSB, 2014) au moins 17,000 hectares de terres sont irrigables en aval du barrage et peuvent être utilisées pour les cultures de saison sèche. En dehors de l’agriculture, le barrage de Lagdo a une production annuelle importante en ressources halieutiques même comme la tendance est à la baisse. En effet, entre 1982 et 2015, la productivité a beaucoup chuté (20,000t de poisson en 1984 et 4000 seulement en 2014 selon le MINEPIA) du fait de plusieurs problèmes liés à l’activité piscicole et ses dérivées. Cependant, les personnes qui exercent dans la chaîne de cette activité trouvent au moins leur compte. Que ce soit pour les produits de la pêche comme ceux de l’activité agropastorale, il y’a un très grand marché pour absorber les produits de la pêche sur le plan national et même sur le plan international du fait de la proximité et de l’accessibilité des marchés par les commerçants grossistes venant des pays limitrophes.
Sur le plan industriel, quelques rares petites et moyennes entreprises existent dans le bassin de la Bénoué. En général, les entreprises sont des coopératives qui ont encore un fonctionnement artisanal ou peu performant, exceptées les Brasseries du Cameroun et la SODECOTON qui donnent des produits finis destinés aux marchés locaux. Beaucoup d’autres entreprises sont encore embryonnaires à l’instar de SITRON S.A., les Boulangeries Sali Baka, LISA, PAIN MAGIC et la société de traitement d’eau minérale SAHEL SPRINT qui nécessitent une amélioration dans la qualité des produits qu’elles mettent sur le marché. En analysant les facteurs de production locale, on se rend compte que malgré leurs importances dans le maillon de la chaîne de production, les producteurs sont dépourvus des moyens pouvant leur permettre de créer de la valeur. Dans la production végétale, il faut dire que l’absence d’un réel suivi et l’encadrement technique des producteurs est le principal problème. Bien que des services soient créés au niveau des communes, le personnel qui doit renforcer l’animation agricole est très insuffisant (1 Délégué d’Arrondissement et 2 personnels d’appui avec un niveau de formation approximatif), mais aussi démotivé dans le travail qui est le leur. À cela s’ajoute le fait que les sols sont lessivés du fait d’une utilisation abusive des intrants agricoles d’origine chimique. Les effets du changement climatique (inondation à répétition à Lagdo, Bibémi et Garoua) ainsi que la répétition des invasions acridiennes constituent d’énormes difficultés que les paysans doivent gérer. L’absence des technologies appropriées pour mettre à contribution les nombreuses ressources en eau contenues dans l’espace et les nappes souterraines en est un autre problème.
La production agricole
L’agriculture est la principale activité économique (estimée à 80% des activités économiques) dans le bassin de la Bénoué. Depuis l’ouverture du barrage de Lagdo en 1986 et l’installation des aménagements hydroagricoles, l’activité agricole ne cesse d’attirer les entrepreneurs paysans. Certes, ce sont des individus qui trouvent en cette activité leurs moyens de subsistance. Il faut souligner que les données quantitatives - c'est-à-dire les statistiques - ne sont pas systématiquement collectées dans les différentes Délégations d’agriculture des communes parcourues, ce qui fait que nous n’avons pas pu collecter le maximum d’informations que nous aurions souhaité collecter. L’élément central des modèles de développement expliquant le rôle de l'agriculture sur la croissance est la notion de surplus, généré dans le secteur agricole. À cet effet, les physiocrates reconnaissaient que l'importance d'un surplus agricole est essentielle pour la bonne santé des finances publiques et le niveau de l'activité économique. Trois préoccupations majeures ressortent de la littérature sur le rôle de l'agriculture dans la croissance et le développement socio-économique :
-les déterminants de la génération d'un surplus dans le secteur agricole à travers des gains de productivité dus à l'investissement et aux innovations dans les techniques et le processus de production ;
-les différents mécanismes de transfert de ce surplus vers les structures économiques ;
-l'utilisation de ce surplus pour réaliser le développement industriel à travers les investissements publics, lorsque ce surplus est transféré par les taxes.
Dès l’amorce de 1950, certains économistes considéraient de plus en plus le secteur agricole comme un secteur dépassé pour fonder le développement économique dessus. En effet, l’activité agricole est génératrice d'un surplus de main-d'œuvre, tel que l'avait formalisé Lewis (1955), et implique une augmentation des investissements donc de la réduction du gain. C’est le passage du secteur primaire au secteur secondaire et tertiaire. L'intérêt était de plus en plus porté sur la croissance résultant du secteur non agricole. Le secteur agricole devait fournir à ce dernier les éléments nécessaires à son expansion comme les matières premières ou les produits semi-finis. En s'inscrivant dans cette logique, l'économiste Kuznets (1972) distingue quatre voies par lesquelles l'agriculture concourt au développement économique :
Fournir les produits
Le secteur agricole fournit la matière première (Coton et bois) par exemple permettant d'alimenter les travailleurs des autres secteurs. Un secteur agricole productif fournira des produits bon marché, d'où une amélioration du niveau de rémunération réel et donc une possibilité d'accumulation pour les autres secteurs. De plus, l'augmentation de la production agricole a un effet sur la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB).
Soutenir le marché
À travers l’agriculture, le marché doit être fourni et entretenu en biens industriels et services. Le paysannat peut se développer et ses habitudes de consommation avec les producteurs à la base peuvent suffisamment gagner et acquérir des biens de consommation qui révolutionnent leur vie. Tout ceci rend le marché florissant et fait naître de nouveaux débouchés pour les industries.
Attirer la devise
L’augmentation de la production locale incite les producteurs à explorer les marchés extérieurs. Les ventes à l’extérieur sont ainsi une source pour faire rentrer les devises dans l’économie locale et nationale. En retour, la devise peut servir à importer à nouveau la technologie pour accroître davantage la production et en même temps importer d’autres biens de consommation. Ce surplus peut également révolutionner la consommation dans le sens de se doter les moyens de produire ce qui était jusqu’à lors importé à grande échelle.
Facteurs de production
Selon Kuznets, l'agriculture fournit aux autres secteurs, le surplus de main-d'œuvre dont elle dispose. Ces analyses de Kuznets se retrouvent dans différents travaux des économistes du développement des décennies 60 et 70. L'accent est mis sur le développement industriel, car lui seul est à même de fournir des conditions d'un véritable développement économique. Cette fascination pour la modernisation leur a fait avoir une « doctrine de primauté de l'industrialisation sur le développement agricole, qui a sapé du même coup les possibilités de contribution de l'agriculture au développement global ». Pour Krueger (1993), la primauté de l’industrialisation est propre aux économies développées. Dans les pays en développement, la réflexion est au niveau du développement de l’agriculture comme on peut le constater dans le cadre de la macro-économie du Cameroun actuel.
L’économie artisanale dans le bassin de la Bénoué
L’activité artisanale est essentiellement basée sur plusieurs secteurs dont les plus essentiels sont la poterie, la maroquinerie, la bijouterie et le tissage des sekhos. Dans le domaine de la poterie et précisément la fabrication des canaris, les produits fabriqués servent à la vente de la bière traditionnelle. Très récemment, le secteur s’est enrichi avec les foyers améliorés pour la cuisine dans la quasi-totalité des ménages à faible revenu. Dans le domaine de la tannerie et de la maroquinerie, cette activité se caractérise par la fabrication des chaussures, des sacs et des bracelets au niveau du marché central de Garoua ainsi que dans les quartiers (Roumdé-Adjia, Liddiré, Takasko). On y rencontre également des ateliers artisanaux notamment des forgerons et des sculpteurs dans ces quartiers.
Avec la fréquentation des touristes dans la région, l’activité touristique est bien exploitée et le potentiel est encore plus grand. Cependant, le secteur nécessite une structuration et de l’encadrement des artisans. Le besoin d’organiser tous ces artisans en coopérative de producteurs et les doter d’infrastructures modernes pour accroître leurs productions et de ce fait, leurs revenus. Elles pourraient constituer une véritable source de revenus pour les populations et par la même occasion élargir l’assiette fiscale des communes dans lesquelles ces activités sont exercées. Avec la construction du centre d’exposition des produits artisanaux dans la ville de Garoua, cette activité est en train de connaître un essor, mais les communes et l’État doivent y investir davantage.
De même, il faut souligner que les artisans connaissent une concurrence extérieure du fait de l’absence de l’encadrement de l’activité au niveau régional. Le commerce des produits manufacturés, principalement venus du Nigéria, est en plein essor dans la ville de Garoua. Il faut noter que cette activité prospère au préjudice de la réglementation douanière et fiscale. Par ailleurs, les autres activités économiques à caractère artisanal sont peu développées. L’on peut citer entre autres, par domaine spécifique :
L’artisanat utilitaire : pots et vases en argile, articles en paille tressée ;
Les activités du circuit informel (maçonnerie, menuiserie et métiers apparentés) ;
Les « begneiteries » et la fabrication des jus locaux (oseille et baobab…).
Dans l’entrepreneuriat féminin, les principales activités économiques des femmes en saison sèche sont la transformation de produits agronomiques et le commerce en général. En saison pluvieuse, ce sont l’agriculture et les prestations dans les champs qui relèvent de l’économie sociale solidaire et l’artisanat dans les zones rurales concernent les activités relatives que sont:
Les produits agroforestiers non ligneux : l’huile de karité, les produits laitiers ;
Les produits artisanaux : fabrication du matériel de labour, poterie, les nasses ;
Les activités génératrices de revenus constitués du petit commerce.
En conclusion, nous retenons que les structures sociales et économiques dans le bassin de la Bénoué sont complexes et hors des canevas connus. Cette complexité découle certainement de la diversité culturelle, linguistique et religieuse des populations qui peuplent les communes d’ancrage de notre travail. Cependant, les ressources sont abondantes bien que décroissantes, la population est dynamique, mais les structures sociales et économiques sont en quête d’un modèle social et économique à reconstruire dans cette pluralité, en quête de définition d’une politique économique propre aux réalités locales ; qui doit tenir compte de toutes les possibilités qui existent et qui sont susceptibles de contribuer au bien-être des populations locales. Ce dernier aspect fait l’objet de la prochaine articulation de notre réflexion, consacrée à la valorisation du potentiel local par les pouvoirs publics dans le sens de la création de la richesse pouvant induire des indicateurs basiques du progrès social pour un développement communautaire.
Le potentiel local pour une politique publique de création de la valeur
Les transformations socio-économiques ne sont autres que la mise en valeur maximale des potentialités de production de la richesse en conformité avec les pratiques d’un développement durable sur un territoire donné. L’idée ici est que les nombreuses sources de la création de richesses soient utilisées à bon escient, de telle sorte que les générations à venir trouvent des structures économiques viables qu’elles pourraient pérenniser à leurs tours. Dans le bassin de la Bénoué, les richesses existantes ont été présentées dans les paragraphes ci-dessus et il a été reconnu dans l’ensemble un manque de planification efficiente et un déficit d’accompagnement adéquat, pour que ces richesses contribuent efficacement à l’amélioration des conditions de vie des populations.
Si l’enjeu n’est que souligné depuis le rapport Bruntland, il faut se dire que l’environnement et l’homme ont toujours été deux éléments de la nature dont l’interdépendance ne pourra jamais s’altérer. L’Homme est intimement lié à son environnement tout comme de nombreux éléments de la nature ont besoin de l’Homme pour que leurs cycles écologiques soient possibles. De ce fait, l’Homme doit faire de son environnement « sa propre maison dont il ne voudra jamais détruire » sous peine de se retrouver sans « domicile ». Dans le cadre du bassin de la Bénoué, nous avons démontré dans les paragraphes précédents que les crises écologiques sont la conséquence de l’action de l’Homme et que l’impact de ces crises a une portée énorme sur la vie des populations (pérennisation du cycle de la pauvreté et de la vulnérabilité). De ce fait, l’analyse du territoire invite à donner une importance capitale aux questions environnementales afin que l’équilibre biologique de la biocénose et de la biosphère soient maintenues. Partant de là, la nature doit servir les moyens de subsistance et d’accumulation de la richesse au profit de l’Homme et ce, dans le strict respect de l’environnement.
Analyse d’opportunités, de la croissance locale et de l’emploi
L’analyse de la croissance locale et des opportunités de création d’emplois est un exercice qui permet d’obtenir des indicateurs pouvant orienter la prise des décisions dans l’élaboration des politiques publiques locales ; ainsi que la prise des décisions dans les structures locales de production (entreprises et unités industrielles) afin de corriger les externalités négatives tout en permettant une vigilance sur le contexte socio-économique au niveau local. Cet exercice peut se faire sur une approche qualitative, mais requiert tout de même des données de la statistique descriptive dans le souci de permettre des comparaisons. Dans le cadre de cette réflexion, le fait que les données ne soient pas collectées de manière systématique et diachronique limite nos analyses en matière de comparaison. Dans certaines entreprises où l’on aurait pu en collecter, les responsables ont estimé que ces informations sont sensibles et restent exclusivement pour les besoins d’analyse de l’entreprise elle-même.
La littérature économique propose deux grands types d’approches des déterminants de la localisation des activités de croissance sur un territoire. Tout d’abord, il y a l’approche géographique qui sied aux modèles d’économie des transformations urbaines. Ensuite, l’approche économique qui consiste à observer, collecter et analyser les externalités (positives ou négatives) dans le cadre de la nouvelle économie des territoires. La croissance locale et l’emploi ne sont pas le fruit d’un processus aléatoire, mais ils sont régis par des facteurs locaux, a contrario de la croissance de l’emploi industriel dont les facteurs et aléas externes doivent être considérés. Les croissances sectorielles de l’emploi se révèlent principalement expliquées par la croissance de la taille du marché, le degré de la concurrence locale et une main-d’œuvre qualifiée comme nous l’avions expliqué plus haut. Dans l’analyse des différentes filières créatrices de croissance ou potentiellement porteuses de la valeur ajoutée dans l’économie locale du bassin de la Bénoué, il en ressort que la production économique est portée par les différentes filières d’activités (agriculture, pêche, activités industrielles et celle de la foresterie non-ligneuse) au niveau local, en explorant leurs effets économiques en termes de revenu pour les familles paysannes. L’emploi créé localement, les externalités positives dans les échanges, de même que la contribution à la satisfaction des besoins essentiels des populations dans la perspective de la conjoncture locale.
En dépit des menaces écologiques répétitives dans le bassin de la Bénoué (6 grandes inondations dénombrées entre 2000 et 2014), il est curieux de relever qu’aucun observatoire ou mécanisme d’alerte précoce ne soit mis en place par les communes et encore moins les services déconcentrés de l’État pour anticiper sur les effets des catastrophes comme la sécheresse, les inondations, la malnutrition ou les famines dans le bassin de la Bénoué. Pourtant, de nombreux acteurs de développement et quelquefois des organismes de coopération multilatérale comme l’Autorité du Bassin du Niger (ABN) ou la Commission du Bassin du Lac Tchad) CBLT interviennent dans cet espace géographique. Or, il est possible, à partir de l'analyse rétrospective des clichés spatiaux des zones ayant été soumises, par exemple, aux inondations, aux sécheresses, ainsi qu'à d’autres types de catastrophes technogènes (variations des saisons, invasions acridiennes…) de reconstituer les scénarii probables de leur apparition et de créer des bases de données pour un observatoire local en vue d’anticiper ou de gérer des cas post-catastrophes.
Toutefois, il faut garder de vue que de nombreuses recherches ont démontré que le savoir technologique n’est pas suffisant à lui seul pour apporter des réponses aux effets du changement climatique par ce que les populations sinistrées détiennent elles aussi beaucoup de connaissances endogènes qui peuvent significativement aider à trouver des solutions durables aux problèmes causés par les crises écologiques. Étant les premières victimes et ayant une expérience vivante des effets, ces populations peuvent non seulement fournir des connaissances fondamentales pour étudier les scénarii possibles, mais doivent également être impliquées dans la réflexion pour qu’elles s’approprient de la mise en œuvre de ce qui est fait à leur avantage tout en y intégrant les valeurs culturelles locales. Autrement, si les options ne prennent pas en compte leurs réalités, elles ne pourront jamais être des solutions à leurs problèmes.
Incapacité des pouvoirs publics locaux à valoriser le potentiel économique
En dépit de cet avantage comparatif, le Cameroun ne maximise pas du tout les revenus de l’assiette fiscale et autres taxes dans les échanges transfrontaliers sur les plus grands marchés du bassin de la Bénoué que sont Ngong et Gouna (pour les céréales et légumineuses) Adoumri dans la commune de Bibémi (pour le bétail) le marché de Lagdo (pour le poisson) et enfin les marchés de Garoua (pour les légumineuses et les tubercules). En plus de cet avantage en échange commercial, les communes du bassin de la Bénoué sont dans une très bonne position pour profiter des revenus des taxes dans ces principaux marchés ainsi que sur les marchés secondaires se trouvant dans le bassin. Cependant, le très mauvais état des routes reliant les différents villages et agglomérations ne permet pas de maximiser toutes ces opportunités de revenus.
En plus de ces deux problèmes, l’État du Cameroun doit tout de même faire face à la contrebande qui nuit excessivement aux recettes douanières. En effet, les performances économiques des pays sont également évaluées à partir de la capacité des pays à préserver l’intégrité de leurs territoires, mais aussi à pouvoir tirer avantage des échanges frontaliers. Au Cameroun par exemple, la faiblesse des institutions fait en sorte que les échanges informels, pas nécessairement illégaux, rendent difficiles de quantifier les opérations commerciales.
De même, l’absence des magasins de stockage n’encourage pas une bonne circulation des produits. C’est pourquoi dans tous les marchés précités, les produits doivent arriver à la veille du marché pour être stockés, juste la nuit d’avant le jour du marché. En saison pluvieuse, il arrive que ce palliatif ne fonctionne pas du fait des pluies torrentielles qui détruisent les magasins de fortune et les produits commerciaux. Pour cela, les communes avec l’appui de l’État doivent améliorer les infrastructures sur les marchés à grand potentiel et percevoir davantage des taxes pouvant leur permettre non seulement de recouvrer les investissements, mais aussi à long terme, investir sur d’autres aspects qui freinent le développement économique.
Il faut relever qu’en dehors des deux communes de Garoua, l’absence des banques d’affaires ou des banques commerciales dans les autres communes constitue aussi un réel handicap aux échanges transfrontaliers et par-delà au développement économique des communes susmentionnées. Seuls les services de transfert monétaire par téléphonie mobile et les institutions de microfinance (IMF) peuvent contribuer aux transactions financières dans les communes. Jusque-là, beaucoup de villages à haut potentiel d’échanges souffrent de l’absence de ces IMF à proximité et cette situation oblige donc les paysans et les commerçants à prendre d’autres risques dans la sécurisation de l’argent comptant qu’ils détiennent du fait d’une insécurité grandissante dans les zones rurales où les activités agropastorales sont très développées.
Conclusion
En conclusion, rappelons que le présent travail a exploré au détail les questions écologique, économique et sociale dans le bassin de la Bénoué. Il en ressort que ces crises n’ont pas une fréquence fixe, mais elles sont généralement conséquentes à la variabilité climatique. Il ressort de la description que les crises en question affectent non seulement les activités de production, mais aussi, elles rendent les populations vulnérables dans leurs moyens de subsistance. Par ailleurs, il est également évident que les investissements des pouvoirs publics locaux et nationaux dans ces localités sont faibles pour tirer profit du potentiel économique enregistré dans la zone d’étude. Pourtant, il suffit d’y consacrer un peu d’efforts afin de traduire les potentialités existantes en programme de développement économique et social dans le bassin de la Bénoué et améliorer de ce fait le niveau de vie des populations, tout en réduisant leurs vulnérabilités vis-à-vis des aléas climatiques. Plus encore, le travail est allé jusqu’à poser la problématique de l’employabilité à partir de l’existant et des potentiels emplois à créer ou à générer en fonction des activités économiques qui s’y déroulent, de même que la main-d’œuvre locale. Il en ressort que les trois principaux secteurs productifs que nous avons identifiés peuvent générer des milliers d’emplois supplémentaires au niveau local. Cela est possible à partir des entreprises qui pourraient éventuellement être créées dans les différentes chaînes de valeur des activités agro-sylvio-pastorales, à partir des activités des secteurs primaire, secondaire et même tertiaire si l’on inclut les emplois de la distribution et de la commercialisation. Enfin, nous pouvons dire que ce travail a pu faire l’endoscopie de la pauvreté locale en partant des potentialités qui existent au niveau local, pour proposer des solutions impliquant les acteurs locaux de même que les services déconcentrés de l’État ainsi que les collectivités locales décentralisées.
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Cette information est obtenue auprès des fonctionnaires retraités du Ministère de l’agriculture à Garoua.
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Lire la contribution de Marx à la Critique de l’économie politique.
Idem
Les rendements annuels des ressources halieutiques sont passés de 20,000 tonnes en 1984 à 4,000 tonnes en 2014 dans le lac de Lagdo XE "Lagdo" selon la délégation régionale de l’Elevage et des pêches pour le Nord.
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